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حَقّاْر مَحْقوْر و ما يحَبْشْ الحَقْرَة

Ils sont tous là. Ou presque. Certains donnés absents et d’autres ayant refusé l’invitation mais beaucoup sont arrivés jusqu’ici, extirpés de leurs ténèbres, convoqués par la morale, nés de l’enfance, d’un pli trop dur du cerveau ou de la vraie vie. En tous cas ils sont là, seuls ou en groupe, corps sans tête ou têtes sans corps, chauves, mâles, statiques et recroquevillés devant la cruauté de leur semblables ou en mouvement vers l’impraticable douceur. Détaillés ou absents, sujets ou de passage, aux contours précis ou flous, effacés par la puissance de l’inconnu ou assassinés par la flèche du temps tirée dans le dos. Flashés dans leur excès de vitesse vers le pire, figés par la peintre dans la posture de l’accusé, englués dans l’atmosphère irrespirable de la promiscuité, momifiés dans l’utopie qui dit que si on les trace et qu’ils ne bougent plus, ils ne recommenceront plus. Sauf que l’anatomie est comme la matière visible de l’univers qui ne représente que 5% de tout le cosmos. Mais qu’est-ce qu’on ne voit pas ? Qu’est ce qui compose cette matière noire de l’être humain ? Tout comme l’univers a accouché de lui-même dans un big bang lumineux à l’issue d’une profonde crise existentielle, le mal a une origine, un minéral trop fragile qui a laissé entrer le germe par l’une de ses nombreuses failles, un végétal qui a mal dormi ou un animal qui mal tourné.

   Mais où vont tous ces hommes ? Nulle part, ils sont là, ils ne se parlent pas, ils s’écoutent, entre murmures muets et chuchotements secrets sur la nature de l’Homme, se demandant chacun dans son coin qui habite dans leur tête. Etres humains dans l’exercice de leur fonction, victimes qui deviennent bourreaux qui deviennent victimes, interchangeables chevaliers montés sur des dés de hasard desquels ils sont tombés sur le champ de bataille, sauvés par un sauveur qui ne peut se sauver ou laissés ainsi à la loi des chocs où le plus sauvage gagne. Y a-t-il une justice graphique, la rédemption est-elle possible par la peinture ? Exposés dans leur travers et défauts, dénudés dans leurs pulsions et violences, installés dans les labyrinthes du laboratoire, l’expérimentateur les regarde, amusé, triste mais résolu, il faut les montrer, les exhiber au public, ces bêtes de cirque qui s’entretuent pour un gramme de jaune cadmium ou un litre de diluant. Sont-ils venus ensemble ou à des moments différents ? On ne sait pas mais ils ont en commun cette souffrance du désespoir sans pleurs ni cris et annoncent fièrement que l’avenir de l’humanité s’annonce sombre comme une nuit sans lune aux couleurs paradoxales, fauvisme éclairé, couleurs froides, chaudes ou glacées suivant les logiques aléatoires du dérèglement climatique.

   Ils sont là mais ils sont un, l’effroi de l’Homme devant son reflet, contemplant son visage dans une mare d’eau claire juste avant de remarquer qu’il y a quelqu’un derrière, prêt à tout. Il y a toujours quelqu’un derrière dans ces œuvres pourtant en deux dimensions, car la profondeur surgit de la lumière, elle-même qui sculpte les volumes, définit l’espace et révèle la trahison. Il y a toujours quelqu’un derrière, y compris l’auteur et sa question profonde, un homme torturé peut-il torturer ? Oui, il peut aussi peindre et dénoncer le crime contre l’humanité, agencer les accusés comme dans un procès de masse pour la forme, pour les contours et pour le plaisir pictural du juge.

   L’homme générique, ainsi dénommé par la palette, transcrit par le pinceau et démasqué par le trait, est coupable, doublement coupable car coupable d’être coupable. L’homme est-il bon ou mauvais ? Les trois.

Chawki Amari / Ecrivain et journaliste

Oeuvres : Triangle Dramatique – Bourreau / Victime / Sauveur / Triptyque de peintures à l’huile / Kenza Daoud

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